La mémoire napoléonienne, entre légende et contestation

La mémoire napoléonienne, entre légende et contestation

Sommaire

  1. Napoléon et le pouvoir : un régime autoritaire
  2. Une société en mutation
  3. Napoléon et l'Europe
  • Conclusion : La mémoire napoléonienne, entre légende et contestation

Napoléon est le premier forgeur de son propre mythe. Consul puis empereur, il maîtrise les canaux de communication, soumet la presse, contrôle les imprimeurs. Par l’enseignement, la politique symbolique, la propagande impériale, la construction de monuments à sa gloire, il construit peu à peu sa propre légende au cours de son règne.

Napoléon Ier fait aussi, de son vivant, et plus encore à la chute de l’Empire, l’objet de critiques, raillé par les auteurs et caricaturistes qui en dressent une légende noire. On lui reproche un régime trop autoritaire qui contrôle l’ensemble des pouvoirs et la vie des citoyens, la conduite des guerres de façon déraisonnée envoyant ainsi à la mort un grand nombre de soldats, une réduction des libertés acquises à la Révolution…

Après son décès en 1821, outre la publication de ses mémoires rédigées depuis Sainte-Hélène, les médiateurs de la légende napoléonienne sont en grande partie les vétérans de la Grande Armée, licenciés par la Restauration, qui sont dispersés dans le corps social où ils la diffusent, jusqu’au Second Empire. Elle est alors reprise à cette période, Napoléon III réinvestissant les symboles du Premier Empire, s’inspirant de la figure de son oncle. Aussi, durant près de deux siècles, le débat historiographique sur Napoléon évolue peu. Depuis 2005 et le bicentenaire d’Austerlitz, l’histoire du Premier Empire se renouvèle avec la recherche d’une exhaustivité mémorielle considérant ses réussites comme ses échecs.

Documents

Le tableau date de 1824 : Napoléon est encore honni à cette époque et c’est pourtant le commencement de la légende. Sa mort en 1821 passe presque inaperçue en Europe. Mauzaisse est un peu en avance sur son temps : les années 1830 vont voir l’émergence du romantisme dans lequel va s’inscrire la naissance de la légende napoléonienne. Exilé sur l’île de Sainte-Hélène, Napoléon devient rapidement l’objet d’un mythe. En 1824, à peine trois ans après sa mort, le peintre Jean-Baptiste Mauzaisse réalise ce tableau témoignant de la naissance d’une image romantique, bien avant que des poètes comme Victor Hugo ou Stendhal s’en saisissent : vêtu de sa fameuse redingote, ceint du cordon de la Légion d’honneur, la main droite dans le gilet et le bicorne posé sur la roche, l’Empereur y est transfiguré en martyr isolé dans son exil lointain. En haut à gauche, l’astre de son destin pâlit dans un ciel oppressant.

Cet Indicateur général de 1834 – soit treize ans après le décès de Napoléon – est un tableau récapitulatif d’informations pratiques publié chaque année : données économiques, statistiques et militaires assorties d’un calendrier comprenant les événements importants de l’année. Parmi ces données utiles, cette gravure comporte des vignettes illustrant quelques moments de la vie de Napoléon et surtout, bien au centre, un texte intitulé « Sommaire de la vie de Napoléon, d’après lui-même ». Celui-ci est en partie issu de l’ouvrage Le Mémorial de Sainte-Hélène, mémoires de Napoléon écrites durant son exil. Publié en 1823, enrichi et enjolivé par Emmanuel de Las Cases, conseiller d’État qui accompagna Napoléon à Sainte-Hélène, ce récit influence considérablement le discours des historiens du XIXe siècle sur le Premier Empire et impose progressivement une légende glorieuse. La présence d’un extrait de ce texte dans ce pense-bête du quotidien témoigne d’un moyen original de diffusion de la légende napoléonienne et de l’intérêt populaire pour Napoléon sous la Monarchie de Juillet.

Le 14 décembre 1840, les cendres de Napoléon, rapatriées de Sainte-Hélène à la demande du roi Louis-Philippe, arrivent triomphalement à Paris. Dix-neuf ans après la mort de l’empereur en 1821, la légende napoléonienne se développe avec ferveur au sein de la population française. Marchand, premier valet de chambre de l’empereur, fait partie de la délégation autorisée en 1840 à procéder à l’exhumation de la dépouille mortelle de l’empereur. Serviteur qualifié d’« ami » par l’empereur, il collecte, ainsi que plusieurs des membres de l’expédition, des objets anodins dans cette Vallée du Géranium de Sainte-Hélène, lieu du tombeau de Napoléon. Recueillir les cendres de l’empereur est l’occasion de glaner des débris matériels rassemblés sous une cloche de verre en une sorte de « reliquaire ». Petits morceaux de terre recouvrant la tombe, morceaux de cercueils et de lamelles de tronc de saule témoignent de ce culte laïc. Ces fragments jouent le rôle de reliques pour les encenseurs de l'Empereur, au même titre que la couronne d’épines du Christ dans la religion catholique. L’étrange objet de dévotion est offert à la ville de Fontainebleau le 5 mai 1840 (anniversaire de la mort de l’empereur) par Pierron, maître d’hôtel de l’empereur à Sainte-Hélène. Fontainebleau était en effet resté fortement associé au culte romantique de l’empereur en tant que théâtre de sa chute et de ses Adieux en 1814.

Portrait de Napoléon III dans un médaillon, en buste et de profil. Le médaillon est surmonté d'un blason contenant le chiffre N dans un écusson orné de décors de feuillage et surmonté d'un ruban sur lequel est écrit "Vox populi, vox dei". Sous le médaillon on retrouve la symbolique impériale : la couronne, le sceptre à main de justice, le collier de la légion d'honneur, l'épée avec aigle aux ailes déployées sur le pommeau posés sur des branches de lauriers et de chêne. On voit également un livre dont le titre est " Vie de César ", la rédaction de cet ouvrage est issue d'un intérêt de longue date de Napoléon III pour ce personnage. Sur le côté gauche, le nom des batailles de Magenta et Solférino sont écrits sur un ruban passé entre les branches de laurier et de chêne. Sur le côté droit le tissu orné d'abeilles (symbole d'immortalité et de résurrection, elles sont considérées comme le plus ancien emblème des souverains de France).

Instituée le 12 août 1857 par Napoléon III, la médaille de Sainte-Hélène récompense les militaires français ou étrangers qui ont combattu aux côtés de Napoléon Ier pendant les guerres de 1792 à 1815. La médaille représente Napoléon Bonaparte d’un côté et, de l’autre, se trouve l’inscription « Campagnes de 1792 à 1815 – A ses Anciens Compagnons de Gloire, Sa Dernière Pensée, 9 mai 1821 ».

On estime qu’environ 405 000 soldats sont concernés. Les Archives départementales conservent encore les circulaires et listes nominatives établies selon le protocole suivant :

  • Les maires de toutes les communes proposent aux anciens combattants de se signaler ;
  • Les anciens combattants réunissent les preuves de leurs états de service dans l’armée (livret militaire, certificat, congé de réforme etc.) ;
  • Les préfets vérifient les listes reçues puis les transmettent à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur à Paris ;
  • Les médailles et certificats (comme celui présenté ici) sont attribués à chaque ancien combattant ; puis sont envoyés dans les mairies pour remise aux concernés.

En 1852, année de l’instauration du Second Empire par Napoléon III, le projet d’édification d’une statue équestre de Napoléon Ier dans la cour d’Honneur du château de Fontainebleau, voit le jour. Il s’agit d’annoncer la restauration de l’Empire à l’endroit où celui-ci s’était effondré en 1814, lors des Adieux de l’Empereur. Sur ce dessin de Guillaume Abel Blouet (1795-1853), architecte du palais de Fontainebleau depuis 1848, la statue se dresse à l’emplacement exact de l’éphémère plâtre de cheval blanc qui avait été édifié par Primatice au XVIe siècle. Mais ce projet, transformant le vaincu du passé en vainqueur conquérant dans la tradition des représentations des monarques en statues équestres, n’est resté qu’à l’état de dessin et ne fut jamais réalisé.

Commandant militaire de Seine-et-Marne, le général Charles-Pierre-Victor Pajol (1812-1891) sculpte une statue équestre de Napoléon Ier et deux bas-reliefs : l’empereur annonçant « Le boulet qui doit me tuer n'est pas encore fondu » et la charge du général Claude-Pierre Pajol (1772-1844), son père.

Pour en faire un monument commémoratif de la bataille de Montereau, le général Pajol et des élus de Seine-et-Marne lancent le 1er mars 1865 une souscription publique dans le département, collectant près de 40 000 francs. Partisan, l’appel aux dons prévoit de rappeler ainsi aux générations futures « le génie » de l’empereur, « la valeur de nos Soldats, et le dévouement de notre population ».

Grâce au soutien financier de Napoléon III, de la mairie de Montereau, du Conseil général et du Ministère des Beaux-Arts, la statue de 3,80 mètres de haut et les bas-reliefs sont fondus en bronze puis exposés au Salon lors de l’Exposition universelle de Paris au printemps 1867. La critique y salue la réussite d’une « œuvre aussi considérable », inaugurée ensuite à Montereau le 18 août 1867.

Approche par les élèves

  • Quels sont les liens entre la mise en place d’une légende napoléonienne et le mouvement romantique ?
  • Comparer ce tableau avec le voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich en 1818. Quelles sont les différences et les similitudes ?
  • Trouver un corpus de la littérature romantique (Victor Hugo, Gérard de Nerval, Chateaubriand…) qui entre en écho avec ce tableau.

  • Quels types d’informations sont présents dans ce document ?
  • Quels types de personnes peuvent acheter un indicateur général ?
  • Où peut-on supposer que ce document était utilisé ?
  • Comment ce document a pu contribuer à faire connaître l’histoire de Napoléon ?
  • Qui a écrit le texte au centre de ce document ?

  • En quoi un reliquaire apporte-t-il une dimension « sacrée » aux objets qu’il renferme ?
  • Proposer une étude historique des formes et des fonctions des reliquaires dans le monde religieux et profane en vous aidant de quelques exemples.

  • Retrouver tous les symboles du Premier Empire qui apparaissent sur cette illustration (on peut en relever au moins 6). Pourquoi sont-ils présents sur cette gravure de Napoléon III ?
  • « Vox populi, vox Dei » signifie « Voix du peuple, voix de Dieu » : pourquoi Napoléon III se place-t-il sous ces deux invocations ?

  • À quel lieu fait référence le nom de la médaille ? Pourquoi ?

  • Que veut montrer Napoléon III en créant la médaille de Sainte-Hélène ?

  • À qui fait référence l’expression « Compagnons de gloire » ? Pourquoi ?

  • Dans quel objectif l’expression « Sa dernière pensée ! » a-t-elle été inscrite sur le diplôme ?

  • Etudier la tradition de la statue équestre de Marc Aurèle à Rome jusqu’à Napoléon à Montereau en passant par la statue équestre d’Henri IV sur le Pont Neuf à Paris : les différents matériaux, dimensions, postures, emplacements. Déterminer le rôle joué par le piédestal dans ce type d’œuvre.

  • Déterminer la raison pour laquelle cette statue de Napoléon Ier a été réalisée.
  • Identifier la personne à l’initiative de cette statue et sa relation avec l’Empereur.
  • Décrire en quelques lignes la façon dont est représenté Napoléon Ier (posture, taille etc.).

  • Que disent ces documents de la mémoire et de la postérité de Napoléon au XIXe siècle ?
  • Pourquoi peut-on parler de la mise en place d’une « légende napoléonienne » ?

Revenir au début

Références bibliographiques

Date de publication de la page et auteur de publication

Créé le: , par Service éducatif du Château de Fontainebleau / Pôle médiation culturelle et action éducative des Archives départementales de Seine-et-Marne