Enseigner le Premier Empire : des sources en Seine-et-Marne

Napoléon et l'Europe

Sommaire

Lorsque Bonaparte s’empare du pouvoir le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), l’armée française est devenue une formidable machine de guerre que le Premier consul continue à réformer en profondeur : la loi Lacuée met ainsi à disposition du pays tous les jeunes ayant 20 ans révolus pour être appelés selon les besoins (cf. partie a).

De la campagne d'Austerlitz en 1805 à la bataille de Wagram, dernière grande victoire napoléonienne contre l'Autriche en juillet 1809, se construit en Europe un "Grand Empire" flanqué d'Etats alliés et vassaux dont les trônes les plus importants sont confiés aux membres de la famille Bonaparte. Consécration de son hégémonie, Napoléon épouse, le 9 mars 1810, la fille de l’empereur d’Autriche, Marie-Louise. En 1811, naît un héritier auquel est offerte la souveraineté de la ville de Rome, le pape Pie VII ayant été arrêté et emprisonné à Savone puis à Fontainebleau (cf. partie b).

Après la désastreuse campagne de Russie en 1812, l’Empire napoléonien, de plus en plus décrié, vacille. En 1814, la France est envahie par les armées alliées de la 6ème Coalition. Au terme de cette campagne de France, l’empereur abdique le 6 avril 1814 à Fontainebleau et fait ses adieux à la vieille garde dans la cour du château, partant pour son premier exil sur l’île d’Elbe (cf. partie c).

 

A / De la nation en armes à la Grande Armée

Documents

En 1798, la loi Jourdan-Delbrel organise la conscription qui concerne tous les Français célibataires ou mariés sans enfant de 20 à 25 ans. Le service est fixé à 5 ans en temps de paix, il est illimité en temps de guerre. Chaque département doit fournir un certain nombre de soldats en fonction des besoins exprimés par l’Empereur. Après avoir réformé les hommes trop petits (moins de 1,54 m en 1804) ou en mauvaise santé, la désignation de ces hommes se fait par tirage au sort. Les soutiens de famille sont aussi exemptés.

La loi du 18 mars 1800 permet à celui qui a tiré un mauvais numéro d’être remplacé par un autre homme prêt à se substituer à lui en échange d’argent. Le remplacement est alors l’objet d’un contrat enregistré devant un notaire.

Antoine Lescalier, demeurant dans le département de l’Oise, non appelé jusqu’alors, se substitue à Benjamin Bernier d’Etrepilly qui a tiré un mauvais numéro et doit donc rejoindre l’armée. Pour le prix de ce remplacement, la famille Bernier doit verser à l’épouse d’Antoine Lescalier 6 000 francs, une somme considérable, ainsi que 1 550 litres de blé par an pendant deux ans, ce qui correspond plus ou moins à la production annuelle de 2 hectares de blé. Le coût d’un remplaçant est si élevé que le remplacement ne concerne que 4% des conscrits.

Par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), le Premier consul institue une École spéciale militaire pour 500 élèves à Fontainebleau qui est installée au château, dans les bâtiments encadrant la cour du Cheval Blanc. Le manège, aujourd’hui situé près du jardin anglais, est édifié en 1807 pour l’instruction des élèves.

Les garçons, âgés de 16 à 18 ans, issus prioritairement des lycées, passent un examen d’entrée. Les élèves sont des soldats, portent un uniforme et sont soumis à la discipline militaire : appels, corvées, tenue, inspections, etc. Ils perçoivent une solde de 30 centimes par jour. Ils sont logés en « chambrées ».

Les enseignements portent sur le maniement des armes, les mathématiques, la cartographie, les fortifications, l’administration, l’histoire, la géographie, les lettres, etc. À cela s’ajoutent des exercices physiques comme les manœuvres d’artillerie, l’équitation, la gymnastique ou la natation.

À cause du besoin croissant d’officiers instruits et formés pour rejoindre les troupes engagées dans les guerres impériales, les élèves quittent souvent l’École au bout d’un an, au lieu des deux prévus dans le règlement.

L’École de Fontainebleau a formé plus de deux mille sous-lieutenants avant son transfert à Saint-Cyr en 1808.

Louis Buffeteau est né dans une famille de vignerons le 28 mai 1784 à Ville-Saint-Jacques, dans le canton de Moret-sur-Loing. Conscrit de l’an X, il rejoint le 76ème régiment d’infanterie le 6 septembre 1803 au moment où l’Angleterre rompt la paix d’Amiens et précipite l’Europe dans une nouvelle phase de guerre. Il laisse au pays sa « bonne amie depuis l’âge de douze ans » qui lui promet qu’elle n’aimera jamais un autre que lui.

Le 13 juillet 1805, Louis écrit à sa mère depuis le camp d’Étaples, près de Montreuil-sur-Mer, où est cantonnée une partie de « l’armée des côtes de l’océan », créée pour envahir l’Angleterre. Il se plaint de la misère et de la faim et réclame de l’argent afin d’améliorer ses conditions d’existence. Quand il écrit « nous sommes toujours embarqué », il évoque les incessants exercices d’embarquement dans les 365 bateaux destinés à conduire en Angleterre 27 000 hommes et 1 390 chevaux depuis le port d’Étaples.

Le débarquement en Angleterre s’avérant impossible, Napoléon dirige alors la Grande Armée contre les deux autres puissances de la 3ème coalition, l’Autriche et la Russie. Louis fait toutes les campagnes des années 1803 à 1812. Le 6 avril 1812, il est considéré comme ayant déserté son régiment. On le retrouve toutefois dans l’armée lors de la campagne de France en 1814.

L’habillement de l’Empereur en campagne est indissociablement lié, encore aujourd’hui, à notre imaginaire de Napoléon. La sobriété de cette tenue reste étonnante : une simple redingote en drap gris et un chapeau en feutre de castor noir, porté « en bataille », c’est-à-dire parallèlement aux épaules contrairement à l’usage, le rendent immédiatement reconnaissable par ses soldats. Cet habillement, savamment élaboré par Napoléon, contrastait suffisamment avec les habits d’apparat de ses généraux pour rappeler à ses troupes ses origines révolutionnaires et entretenir la légende de « petit caporal » qui l’avait rendu populaire auprès des armées.

Approche par les élèves

  • Identifier les années auxquelles Benjamin Bernier et Antoine Lescalier deviennent conscrits.
  • Détailler à quoi s’engage Antoine Lescalier par ce document et la contre-partie reçue par lui et sa famille. S'interroger sur la valeur de cet engagement.

  • Rechercher à quoi sont destinés les élèves de l’Ecole spéciale militaire.
  • Identifier les conditions requises pour être admis dans cette école et les enseignements qui y sont donnés.
  • Déterminer qui fournit le matériel nécessaire aux élèves et si l’école est gratuite puis s’interroger sur les motivations des familles et des élèves à s’y inscrire.

  • Déterminer les difficultés rencontrées par les armées en campagne puis celles des civils dans les territoires où passent ces armées.
  • Pour quelles raisons Louis Buffuteau prend-t-il le temps d’écrire à sa famille ? Qu’est-ce que cela lui apporte ?

  • Relever dans ces documents les conditions nécessaires pour faire partie de l’armée napoléonienne.

  • Trouver des affiches de films où figurent ces habits suffisant à incarner Napoléon.
  • Rechercher d’autres personnages représentés avec un bicorne et/ou une redingote.
  • Quels autres personnages sont identifiables grâce à une silhouette ou à un élément vestimentaire facilement repérable ?
  • D’après vous, pourquoi cette apparence de Napoléon s’est imposée dans notre imaginaire républicain, plutôt que celle du souverain ?

B / Conquêtes militaires et souveraineté familiale

Documents

Au sein du clan Bonaparte, les frères et sœurs de Napoléon sont autant de satellites de l’Empereur au service de la domination politique de l’Europe. Au fil des conquêtes, Napoléon place les membres de sa fratrie sur différents trônes du continent et en fait les pions de son projet stratégique.

Roi de Naples, Joseph devient, à partir de 1808, roi d'Espagne. Jérôme, le plus jeune frère de l'Empereur, règne sur la Westphalie, royaume allemand créé sur-mesure. Elisa, elle, devient grande duchesse de Toscane en 1809. Eugène de Beauharnais, fils de Joséphine, est vice-roi d’Italie et prince de Venise. Caroline épouse le maréchal d'Empire Joachim Murat et devient reine de Naples.

Le 25 janvier 1813, Napoléon réussit à arracher au pape captif le « concordat de Fontainebleau » qui lui donne le pouvoir exorbitant de nommer l’ensemble des évêques et archevêques de l’Empire. L’estampe germanique situe la scène au palais de Fontainebleau, lieu de détention de Pie VII. La puissance du maître s'exprime par le monogramme "N" rayonnant au-dessus de la porte. Sur l’estampe, Napoléon se tient face au pape, la baguette du maître à la main. Un cardinal se dresse entre l’empereur et Pie VII qui présente, sur la table, un écrit de rétractation. Conscient d’avoir été contraint, le pape renie ce nouveau concordat le 24 mars.

Le mariage de Napoléon avec l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise, le 2 avril 1810, consacre le triomphe européen de l’Empereur. Entré dans la prestigieuse famille des Habsbourg, Napoléon peut enfin espérer une paix durable avec l’Autriche et la reconnaissance de l’Empire dont il est le fondateur. Le 20 mars 1811, la naissance d’un héritier au palais des Tuileries paraît en assurer la pérennité. Ce tableau présente Napoléon pressant contre sa joue son fils titré « roi de Rome » avant même sa naissance. La ville de Rome vient d’être annexée en 1809 et devient ainsi l’un des chefs-lieux des 130 départements de l’Empire français. Le pape Pie VII, arrêté et emprisonné à Savone puis à Fontainebleau, est déchu de sa souveraineté sur Rome et les Etats pontificaux. Napoléon offre ainsi ce trône vacant à son fils, futur empereur des Français appelé à ressusciter, dans la droite ligne de son père, les gloires impériales de la Rome antique. Assise près de son époux, l’impératrice Marie-Louise contemple tendrement la scène sous les regards attentifs des gouvernantes et nourrices de l’enfant ainsi que du Grand chambellan. Plus qu’une simple scène d’intimité familiale, le tableau met en scène Napoléon Ier et le futur Napoléon II, prenant le spectateur à témoin d’une transmission du pouvoir à venir.

Ce document retrace le parcours militaire du capitaine Joseph Jacobé. Ce soldat a participé à des campagnes militaires dans toute l’Europe sous le Consulat et l’Empire, au gré des conquêtes napoléoniennes. Son activité militaire a duré une douzaine d’années, jusqu’à la campagne de Russie. Ce certificat recense également les blessures reçues lors des batailles et son état de santé à la suite de celles-ci. Il permet de connaître le temps qu’il a passé à l’armée et les raisons de sa retraite.

La carrière du général Grouvel est emblématique du parcours d’un simple soldat ayant accédé aux plus hautes fonctions durant l’Empire. Ayant servi avec distinction dans la Grande Armée lors des campagnes de 1805 en Autriche et de 1806 en Prusse, il est nommé en 1809 colonel d’un régiment de dragons. Ce tableau immortalise sa promotion. Représenté debout devant son cheval, les jambes croisées, le général Grouvel pose fièrement sur la rive nord du lac de Constance. Appuyé sur son sabre de combat, il est coiffé d’un casque d’officier supérieur de dragons, qu’il garda toute sa vie, ainsi que ses épées et ses décorations, en souvenir de l’Empire.

Approche par les élèves

  • Montrer en quelques lignes que Napoléon a bien construit un empire dynastique.
  • Faire des recherches sur chacun des frères et sœurs de Napoléon placés sur les trônes d'Etats européens. En trouvant des portraits d'apparat de chacun d'entre eux, présenter leur manière de se mettre en scène dans les Etats dont ils ont reçu la souveraineté.

  • Selon la charge donnée à la représentation des personnages de cette scène, indiquer quelle est l'opinion de l'auteur de cette caricature.

Localiser les différentes batailles et campagnes auquel Joseph Jacobé a pris part sur une carte d’Europe. Quels types de blessures engendrent les combats ? En quoi ce document est-il important pour Joseph Jacobé ? A quoi peut-il lui servir ?

  • Quelle image le général Grouvel a-t-il gardé de sa carrière militaire au service de l’Empire ? Sous quelle forme ? Comparer : dans les « Misérables » de Victor Hugo, comment l’aubergiste Thénardier entretient-il le souvenir de son passé de soldat dans la Grande Armée ?

C / Une fin de règne mouvementée

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En réponse à l’importante imagerie de propagande déployée par l’Empire, les caricatures anti-napoléoniennes prolifèrent et s’attachent à ridiculiser au mieux les temps forts de l’épopée impériale. Dans cette caricature anglaise, c’est le célèbre tableau de David commémorant le sacre de 1804 qui fait l’objet d’un détournement féroce. Napoléon y est présenté au sommet de son orgueil, s’auto-couronnant à Notre-Dame, un pape complaisant occupant le centre d’une cérémonie farcesque, tandis que l’impératrice Joséphine y est figurée en matrone arrogante, la traîne portée par un jeune esclave, peut-être issu de ses Antilles natales.

 

Si Napoléon emploie à son service les plus grands peintres français, les caricaturistes se mobilisent pour désamorcer les ressorts de sa propagande. Dans cette caricature allemande, le destin du « grand homme » est proprement ridiculisé : parti de rien et ayant connu une ascension rapide, son apogée n’a duré que de courtes années. La descente des paliers a été tout aussi foudroyante. Traqué comme une bête avant de fuir la Russie en traîneau, l’empereur est basculé dans un gouffre qui se termine en antre caverneux, proprement infernal, en face à face avec le Temps qui le juge sur son île. Une « légende noire » est née.

 

À partir de décembre 1813, la 6e coalition (formée par la Grande-Bretagne, la Russie, la Prusse, des états allemands de la Confédération du Rhin et de l'Autriche) mène une campagne en France contre l'Empire napoléonien. Si ses armées progressent à l'est et au sud en direction de Paris, une succession de victoires françaises se déroule sur le territoire de la Marne (10-14 février 1814) puis de la Seine-et-Marne et de l'Aube (15-26 février 1814). La gravure ci-dessous illustre celle de la bataille de Montereau du 18 février 1814. Sous le feu des canons placés sur le plateau de Surville, les troupes se disputent l’accès du pont sur la Seine, enjeu stratégique majeur. Battues et désunies, les armées de la coalition reprennent néanmoins le dessus à partir du 27 février 1814 (victoire à Bar-sur-Aube) jusqu'à atteindre Paris le 30 mars 1814.

S’ils précèdent de quelques semaines la chute de Napoléon, ces épisodes tactiques ont été valorisés dans de nombreuses gravures à l’instar de celle-ci, issue d’une série de 20 batailles de la Révolution et de l’Empire gravée en taille-douce par Adolphe Rouargue en 1840 d’après un dessin de Théodore Yung.

La France envahie par les armées de la 6e coalition, Napoléon se replie au château de Fontainebleau le 31 mars 1814. Après la capitulation de Paris, l’Empereur cède à la pression de ses maréchaux dans son appartement intérieur. C’est sur le petit guéridon de son salon que Napoléon signe, le 6 avril 1814, son acte d’abdication sans conditions. L’événement historique était suffisamment important pour que l’on apposât à ce guéridon, sous le règne de Louis-Philippe, une plaque commémorative afin de distinguer cet élément de mobilier.

Le 20 avril 1814, l’Empereur joue à Fontainebleau l’acte final de sa chute. Son départ pour l’île d’Elbe, savamment orchestré, est mis en image à de nombreuses reprises par les artistes. François-Aimé-Louis Dumoulin exécute un dessin abouti, préparatoire à la gravure : Napoléon, représenté frontalement, y descend l’escalier en fer à cheval conçu comme une estrade théâtrale. Bicorne sur la tête, l’Empereur dresse son bras gauche vers le drapeau, déclamant son célèbre discours d’adieux à sa Vieille Garde. À gauche, un homme en civil retient la bride d’un cheval tandis qu’à droite une voiture le conduisant vers son premier exil se dessine en arrière-plan.

Approche par les élèves

  • Comparer le tableau du Sacre de Napoléon par David avec sa caricature anglaise. Que dit cette dernière par rapport au tableau d’origine ?
  • Avant que la Révolution française n’éclate, d’Alembert et Diderot, dans leur notice de l’Encyclopédie entre 1751 et 1772 confirment le lien historique qu’entretiennent la représentation et la caricature : « c’est la représentation (…) dans laquelle la vérité et la ressemblance exacte ne sont altérées que par l’excès du ridicule. L’art consiste à démêler le vice réel ou d’opinion qui était déjà dans quelque partie, et à le porter par l’expression jusqu’à ce point d’exagération où l’on reconnaît encore la chose, et au-delà de laquelle on ne la reconnaîtra plus ; alors, la charge est la plus forte qu’il est possible ». En s'aidant des deux caricatures, comment peut-on définir le terme de « charge » ici ?

  • Rechercher quel événement se passe à Montereau en février 1814.
  • Identifier les belligérants, leur objectif stratégique et la durée de cette bataille.
  • S’interroger sur la fiabilité de cette représentation vis-à-vis de la réalité en identifiant les moyens mis en œuvre par le graveur pour faire ressortir qu’il s’agit d’une victoire napoléonienne.

  • En comparant cette représentation postérieure de l'abdication de Napoléon au salon de l'abdication tel qu'on le voit encore aujourd'hui au château de Fontainebleau, décrire les libertés prises par le graveur pour imaginer cette scène.

  • Repérer sur cette esquisse les éléments symboliques de l’Empire.
  • Identifier les corps de l’armée napoléonienne représentés ici.
  • Une autre scène de foule autour d’un personnage central peut entrer en écho avec cette représentation des Adieux : le Serment du jeu de paume de David en 1789. Comparer ces deux tableaux, dans leur forme et dans leur sens.
  • Regarder la représentation dessinée par François Dumoulin et la séquence des adieux du film Napoléon de Sacha Guitry datant de 1955 (2 mn 40). Quelles sont les différences entre ces deux évocations qui racontent pourtant, a posteriori, le même épisode historique ? Quels sont les modes de représentation qui y sont mis en œuvre ? En retire-t-on, en tant que spectateur, la même impression finale ?

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