Napoléon et le pouvoir : un régime autoritaire

Napoléon et le pouvoir : un régime autoritaire

Sommaire

Avec l’établissement du Consulat le 22 frimaire an VIII (9 novembre 1799), Bonaparte cherche à rétablir la stabilité du pays après les échecs du Directoire. Mais, sous ce nouveau régime obtenu d’un coup d’Etat, il renforce aussi son autorité.

            Il sait exploiter le pouvoir des images en France et en Europe pour forger une posture de souverain héritier du passé avec une propagande calquée sur les codes artistiques et les symboles de l’Antiquité et de l’Ancien Régime (cf. partie a).

            Sous une apparence de démocratie parlementaire et populaire, il procède à des manœuvres politiques aboutissant à la création de l’Empire en 1804 et d’une administration centralisée du territoire par la création des préfets et des sous-préfets (cf. partie b).

            Enfin, il surveille l’opinion publique en utilisant les effectifs de la gendarmerie, créée en 1791. Bras armé de la police et force de sécurité du monde rural, rien n’échappe aux gendarmes du département, toujours sur les routes. Via le préfet – qui transmet ensuite au ministre – ils sont les yeux et les oreilles de Napoléon (cf. partie c).

A / La fabrique de l'image

Documents

Sur ce buste de plâtre réalisé en 1811 par le sculpteur Denis-Antoine Chaudet, Napoléon est paré de la symbolique propre aux Césars de l’Antiquité – notamment Auguste – et arbore la couronne qui permettait à « l’imperator » d’inscrire son action dans une tradition de la République romaine célébrant la victoire. Alors à l’apogée de son pouvoir en Europe, Napoléon se forge une emblématique antiquisante qui le démarque fortement des rois de France qui l’ont précédé sur le trône. Il se présente ainsi en maître d’un nouvel Empire européen dont Rome, récemment annexée, vient de devenir la deuxième capitale.

 

Ce portrait d’apparat est réalisé pour Talleyrand, ministre des Relations extérieures. À partir de 1805, une série de répliques est offerte en cadeaux aux représentants à l’étranger et aux ambassades, destinées à montrer à l’Europe que la France est redevenue une monarchie. Napoléon y apparaît vêtu du « grand habillement » d’hermine et de pourpre qu’il revêtit lors du sacre de 1804 et paré des insignes de la monarchie dans la plus pure tradition des portraits royaux d’Ancien Régime. Si la couronne de lauriers impériale et le sceptre sommé d’une aigle sont de nouveaux insignes, la main de justice et le globe posés sur le coussin restent des symboles traditionnels du pouvoir monarchique.

Napoléon est figuré en buste, gravé en noir et blanc dans un médaillon. La tête tournée vers la droite, nous montrant son profil de trois-quarts, il fixe un point hors champ, le sourcil froncé, le nez en bec d’aigle tel qu’on aime à le représenter. L’expression est d’une concentration sévère. Il arbore la couronne de laurier de l’empereur et des éléments de son costume de sacre, ceint du collier de la Légion d’Honneur qu’il a créée. Ce portrait rassemble dans cet almanach, support destiné au plus grand nombre, l’image que Napoléon souhaite graver dans l’esprit des français : celle du chef suprême qui gouverne avec assurance et fermeté.

L’image est une des nombreuses reproductions faites du célèbre portrait équestre de Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard par David en 1800. L’image flatteuse, souhaitée par le Premier Consul, connut cinq versions en peinture et devait concourir à la propagande de l’image d’un jeune chef d’armée maîtrisant avec calme et détermination sa fougueuse monture. L’entreprise fut efficace et populaire, l’image déclinée en divers produits dérivés où la valeur esthétique le cédait souvent à une piètre reproduction d’un schématisme basique. Le diagraphe pantographe, mis au point en 1804, permettait, par un système à la fois optique et mécanique, de reproduire un tableau sans savoir dessiner.

Approche par les élèves

  • Comparer ce buste de Chaudet avec un buste de l’empereur Auguste et avec un buste de Marianne pour étudier la continuité de ce type de représentation emblématique du pouvoir. Comparer les symboles mis en évidence et le passage d’une représentation masculine (Napoléon) à une représentation féminine (Marianne, la République).
  • Etudier le choix de la technique de la ronde-bosse. En quoi le buste renforce-t-il la présence de l’Empereur ?

  • Comparer le portrait de Louis XIV en costume de sacre d’Hyacinthe Rigaud et ce portrait de Napoléon Ier : quelles permanences et ruptures ? Quelles différences entre les regalia (symboles de la monarchie) et les imperalia (symboles de l’Empire) ?
  • Chercher la signification des symboles officiels de l’Empire, l’abeille et l’aigle, ainsi que la dimension symbolique de chacune des imperalia.
  • Comparer ce tableau avec celui de David représentant Napoléon dans son cabinet des Tuileries (document 23) : quelles sont les deux manières de représenter un même homme de pouvoir ?

  • Lister les symboles présents sur ce document qui sont souvent utilisés dans les représentations de Napoléon et qui relèvent de la symbolique royale et impériale.
  • Que garde-t-on d’une image que l’on cherche à diffuser (en comparant par exemple avec le document 7) ?
  • Comparer l’image de cet almanach et un profil de l’empereur sur le franc germinal (document 29) : qu’apporte l’utilisation d’un profil dans la médaille par rapport à cette représentation de trois-quarts face ?
  • Rechercher ce qu’est un almanach et la vocation de ce genre de parution.

  • Pour quelle raison les noms d’Hannibal et de Charlemagne (Karolus Magnus) sont-ils gravés dans la pierre en bas à gauche ?
  • Comparer cette reproduction avec le tableau de Paul Delaroche. Que pouvez-vous en déduire ?
  • Comment la découverte technique sert-elle la propagande et la diffusion de l’image impériale ?
  • Comparer cette reproduction mécanisée et le tableau original de David : quelle transformation de l’image le diagraphe pantographe met-elle en évidence ?

  • Associer avec chaque portrait la fonction occupée par Napoléon Bonaparte au cours de son ascension : empereur, auguste, militaire, conquérant.

B / La construction d'un modèle politique autoritaire

Documents

Ce procès-verbal du 1er germinal an VIII (22 mars 1800) rend compte de l’accueil officiel à Melun en présence de citoyens du premier préfet de Seine-et-Marne, Alexandre François de La Rochefoucault, nommé le 12 ventôse an VIII (5 mars 1800).

En 1800, face aux troubles persistants (vols, perception difficile de l’impôt, mobilisation perturbée des conscrits), l’Etat cherche à rétablir un pouvoir fort dans chaque territoire. Si, depuis leur origine en 1790, les départements sont gérés par une assemblée élue, la création des préfets institue des administrateurs uniques liés à l’Etat. Comme le précise ce document, le préfet est nommé par « Bonaparte premier consul de la République » et doit lui prêter serment.

Lors de cet accueil, « il est enjoint aux administrations municipales » de reconnaître l’autorité du préfet. En effet, il transmet et fait désormais appliquer la loi via les sous-préfets puis les maires. Les arrêtés préfectoraux sont pris en référence à des textes réglementaires et obligatoirement publiés dans le Recueil des Actes Administratifs.

Ce sénatus-consulte du 14 thermidor an X (2 août 1802) « proclame Napoléon Bonaparte premier Consul à vie ». Cet acte ayant valeur de loi est voté par le Sénat après vérification des « registres des votes émis par les citoyens français » lors du plébiscite du 20 floréal an X (10 mai 1802) soumettant au vote la question « Napoléon sera-t-il Consul à vie ? ». Ce procédé de prise de décision associant plébiscite et sénatus-consulte est utilisé trois fois par Bonaparte jusqu’à la création de l’Empire. Il lui permet d’accroître son pouvoir sous une apparente consultation populaire et parlementaire (cf. article 1er « Le Peuple français nomme et le Sénat proclame (…) »). Cet acte est le premier pas vers l’affirmation de l’autorité napoléonienne.

Très influencé par Bonaparte, le Sénat est alors composé de membres inamovibles et choisis en majorité par les autres consuls (Sieyès, Ducos, Cambacérès et Lebrun). Les nouveaux membres sont choisis parmi des candidats présentés par le Premier Consul, le Tribunat et le Corps législatif.

Adressé quatre jours après le sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) proclamant Bonaparte « Empereur des Français », ce document du 2 prairial an XII (22 mai 1804) présente l’organisation locale du 3e plébiscite napoléonien. L’obtention du titre d’Empereur n’est pas soumise au plébiscite et est immédiatement appliquée. L’hérédité du pouvoir est, elle, considérée comme nécessitant du peuple « un témoignage public de son affection et de sa reconnaissance ». Comme en 1799 et en 1802, l’électorat – soit, à cette date, tout homme âgé de plus de 21 ans – est invité à voter. Sur ordre du préfet, des registres sont ouverts durant 17 jours dans les administrations, les communes, les tribunaux et les offices notariaux de toute la Seine-et-Marne. Chaque votant y inscrit son nom et signe dans la colonne de son choix « oui » ou « non ». Son application est officialisée par le sénatus-consulte du 15 brumaire an XIII (6 novembre 1804) soit presque douze ans après la déclaration de la République française le 22 septembre 1792 qui avait mis fin à l’hérédité du pouvoir.

Approche par les élèves

  • Qui sont les acteurs présents lors de la cérémonie de réception du préfet ?
  • Quels sont les documents justificatifs fournis par le préfet lors de cette cérémonie ?
  • Quelles personnes interviennent dans la « commission du préfet » ?

  • Décomposer le mot « sénatus-consulte » pour en comprendre la signification. De quel procédé législatif actuel cela se rapproche-t-il ?
  • Quel est le mode de suffrage utilisé et quel est son processus ? Est-il représentatif de la population ?
  • Pour quelle raison Napoléon est-il évoqué ici comme « le héros vainqueur et pacificateur » ?
  • Quel est le but visé par l’édification d’une statue (mentionnée à l’alinéa II de l’article premier) ?

  • Relever dans le texte ce qui évoque l’organisation et le déroulé du vote.
  • Quel est le circuit de transmission du décret impérial ?

C / La surveillance des citoyens

Documents

 Lorsque Bonaparte s’empare du pouvoir, les effectifs de la gendarmerie s’élèvent en France à 10 000 hommes environ. En Seine-et-Marne en 1811, la gendarmerie est forte de 128 hommes répartis en 25 brigades à cheval et une à pied. Pendant le mois de vendémiaire an XIII (23 septembre 1804-22 octobre 1804), les gendarmes de Seine-et-Marne procèdent à l’arrestation de 25 personnes. Les motifs de ces arrestations sont variés et reflètent à la fois l’activité principale de la gendarmerie et l’état politique, économique et social de la population. Un quart des personnes arrêtées sont des voyageurs circulant sans passeport, ce qui montre la méticuleuse surveillance des routes. Cinq hommes ont été arrêtés pour vol, ce qui reflète les difficultés économiques d’une partie de la population. Les deux hommes « prévenus d’assassinat », les six arrêtés pour « voie de fait », dont deux pour « violence envers la gendarmerie », l’incendiaire et les deux « perturbateurs du repos public » montrent que la société seine-et-marnaise est encore marquée par la violence. L’homme atteint d’épilepsie n’a certainement pas été arrêté mais cela montre la diversité des interventions des gendarmes. Enfin, l’arrestation d’un « émigré » illustre le rôle politique de la gendarmerie qui traque aussi les opposants potentiels au régime.

Après la désastreuse campagne de Russie en 1812, qui a conduit à l’anéantissement presque complet de la Grande Armée, puis celle de 1813 en Allemagne qui s’est achevée par la victoire des armées coalisées à Leipzig, la France connait en 1814 le retour de la guerre sur son territoire. De nombreux soldats désemparés par les défaites, séparés de leurs régiments lors des longues marches de la retraite, fatigués de la guerre ou désirant simplement rentrer chez eux font le choix de déserter. Lors des quatre derniers jours de janvier 1814, les gendarmes de Seine-et-Marne arrêtent 17 déserteurs ainsi que quatre prisonniers de guerre évadés. Cet état des arrestations met en lumière le délitement de l’Empire avec la désertion massive de soldats qui n’épargne pas ceux de la Garde impériale. Trois prisonniers évadés sont rattrapés : un Espagnol, un Anglais et un Hongrois. Les deux déserteurs italiens du 4ème régiment d’infanterie légère ne sont pas des étrangers, ils proviennent du département de Montenotte, intégré à l’Empire français de 1805 à 1814, tout comme le lancier hollandais qui en 1814 est encore français. Les gendarmes sont par ailleurs responsables de la surveillance des prisonniers de guerre qui, notamment lors de l’effondrement du régime, cherchent à s’évader.

Joseph Fouché, ancien conventionnel régicide sous la Révolution, fut à trois reprises ministre de la Police générale : sous le Directoire au moment du coup d’État de Napoléon, au début du Consulat puis sous l’Empire entre 1804 et 1810. Redouté de tous, même du souverain qui l’emploie, il est le seul à savoir mouvoir, dans l’ombre, les réseaux complexes de la police impériale. Son portefeuille à soufflets, doté de sa clef et de son fermoir en argent, est en maroquin rouge et porte une marque d’appartenance explicite poussée au fer à dorer : « Le Sénateur Ministre de la Police générale de l’Empire ». La prise de pouvoir de Napoléon est caractérisée par une réforme des structures administratives de l’Etat. La police est pensée comme un système, centralisée dans ses décisions par la création d’un ministère de la police, éclatée dans ses exécutions (préfecture de police, gendarmerie et garde nationale). La mission de la police générale est, avant tout, d’éviter tout désordre en assurant la stabilité sociale et politique. La préservation de l’ordre public se fait par la mise en place d’un système d’information et d’espionnage, le ministre Fouché ayant recours à des indicateurs afin de tenir à jour des fichiers. Autant de documents confidentiels qui furent contenus dans le portefeuille de cet homme redoutable.  

Approche par les élèves

  • Quels sont les différents motifs d’arrestations ?
  • Quels sont les trois cas les plus fréquents d’arrestations ? Pourquoi ?

  • Quelle est la moyenne d’âge des militaires arrêtés ?
  • Réfléchir aux raisons qui peuvent pousser les militaires à quitter l’armée.
  • Pourquoi la gendarmerie tient-elle ces listes ?

  • Quelles sont les différentes missions de la gendarmerie ?

  • On parle aujourd’hui d’un « portefeuille ministériel ». Quel lien voyez-vous entre cette appellation et le portefeuille de Fouché ?

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