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À partir du VIe siècle, de nouvelles abbayes sont fondées, à l’exemple de celles de Jouarre, Faremoutiers, Rebais ou encore Chelles. Souvent soutenues par l’aristocratie et bénéficiant parfois de la faveur royale, elles établissent différents types de documents pour gérer leurs titres de propriété ; en particulier des terriers.
Les terriers sont des registres qui recensent les reconnaissances de redevances dues par les tenanciers de chaque parcelle du domaine dépendant d’une abbaye. Leur création est essentielle, car ils permettent aux abbayes d’assurer le suivi des recettes, nécessaires à leur fonctionnement. De tels registres ont également été rédigés pour l’administration du territoire des seigneuries.
Malheureusement, lors de conflits, tels que les guerres de religion ou la Révolution, de nombreux terriers ont disparu à l’occasion de la destruction d’établissements religieux ou de châteaux, ou de contestations du régime seigneurial et du paiement des redevances. Leurs rédactions cessent d’être légalement en vigueur au début de l’an II (automne 1793).
Ce terrier consigne les limites et les revenus des terres dépendant de l’abbaye Saint-Victor de Paris sur plusieurs terroirs : Estrelles (cité 35 fois), Saint-Sauveur-sur-École, Montgermont, Orgenoy, Nainville… mais aussi Chessy-en-Brie, Mons-sur-Orge, Saint-Denis, Villetaneuse ou Pierrefitte. Concernant la période 1515-1540, 150 notices réparties sur 186 pages permettent de rendre plus vivante l’histoire de ces terroirs paysans partagés entre vignes et terres labourables.
374 personnages différents apparaissent dans ce registre dont 14 femmes, ce qui constitue une « population » variée et nombreuse. 248 patronymes différents ont par ailleurs été recensés, les noms de Dolligam et Desbordes étant les plus fréquents. Cette fréquence peut s’interpréter en raison du nombre réel des membres de ces deux familles ou parce qu’elles représentaient, à l’époque, les familles les mieux pourvues en terres.
82 prénoms différents ont également été recensés dont 73 prénoms masculins différents et 9 prénoms féminins différents. Les prénoms masculins qui reviennent le plus souvent sont Jean (117 fois) et Pierre (34 fois) tandis que pour les prénoms féminins, il s’agit de Jeanne (3) et Perrette (3).
Les métiers sont peu précisés ce qui est normal puisque les personnes concernées sont des paysans et vignerons dans leur immense majorité. Seuls les cas particuliers sont signalés :
À côté des noms de terroir liés à la résidence des censitaires, on peut relever 42 noms de lieux différents associés à un toponyme de lieu-dit et deux lieux-dits sans précision de terroir soit 44 lieux-dits.
Le plus fréquemment cité est celui de « Bibensson » sur le terroir de Montgermont (113 fois). Cela signifie que les parcelles concernées par les redevances sont majoritairement situées à cet endroit et de très loin puisqu’ensuite vient le lieu-dit de Cloppeau sur le terroir de Pertes cité seulement 6 fois (mais qu’on retrouve aussi une fois à La Planche). On peut en conclure globalement qu’on habite à Estrelles mais que les terres cultivables sont à Montgermont, lieu dit « Bibensson ».
Les toponymes font référence expressément à la nature :
Certaines personnes ont pu marquer au point de donner leur nom à la parcelle : la Motte Lambert, le chantier des trois mères, Le Charlet, Perruchet, le bois au moine.
Les « institutions » transmettent aussi leurs noms : les hautes cages, le chantier de la justice.
Enfin si l’on relève la fréquence des délimitations, c’est la rivière l’École qui vient largement en tête (24 fois sur relevés) ainsi que « le chemin du moulin de Contens à Montgermont » (9 fois). Cette dernière délimitation permet de relever un autre moulin, celui de Contens ce qui porte à 4 les moulins cités (avec celui de la Fosse, celui de Montgermont et celui de l’étang). À Estrelles, il faut aussi signaler le chemin des mulets et le chemin qui mène à La Planche.
Les terriers sont des documents rarement illustrés. Ici, 147 lettres décorées, appelées lettrines, ornent ce terrier. La plupart (111) est composée de motifs géométriques entrelacés de rubans, de fleurs, de nuages, d’animaux fantastiques (dragons, lézards, escargots, poissons, lion, perroquets…), de têtes grimaçantes, de pilastres, de troncs d’arbres, de devises et de blasons.
Le calligraphe anonyme a également introduit des scènes bibliques ou religieuses (21) : scènes de l’Ancien Testament, scènes des Évangiles et vie du Christ comme l’Annonciation, la Nativité, la Tentation ou la Passion et vie des saints comme saint Denis ou saint Sébastien.
Néanmoins, se faisant témoin du style de son époque, il ouvre aussi son répertoire imaginaire à la mythologieantique (5 scènes), à la vie quotidienne (3 scènes dont celle qui figure l’intendant du seigneur prélevant les cens auprès des paysans) et même au fantastique grotesque (10 scènes) : ainsi le curé transformé en renard faisant le sermon au peuple des poules tandis qu’un autre renard en dévore une, bien caché derrière la chaire !
Son style est alerte, la plume vive, donnant à ce registre de recensement, à l’origine purement comptable, une fraîcheur qui ne se dément pas 500 ans après sa rédaction.
Isabelle Rambaud, Archiviste-paléographe, Conservatrice générale du patrimoine