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Les femmes à Melun entre 1760 et 1820

Présentation

Mélanie Prêteux

Mélanie Prêteux a obtenu en 1996 une maîtrise d’Histoire moderne à l’université Paris IV-Sorbonne. Elle a ensuite commencé une carrière professionnelle de bibliothécaire. Après plusieurs expériences, elle est depuis 2008 chef du service des collections de la Médiathèque départementale de Seine-et-Marne. En parallèle de son activité professionnelle, elle a soutenu en juin 2010 un Master II de Recherche consacré à la population de Melun entre 1760 et 1820. Depuis septembre 2010, elle prépare une thèse de doctorat sous la direction de François-Joseph Ruggiu, professeur d’histoire moderne à l’université Paris IV-Sorbonne, avec l’aide de Scarlett Beauvalet, professeur d’histoire moderne à l’université de Picardie.

Entretien

Vous avez déjà étudié la population de Melun entre 1760 et 1820. Pouvez-vous nous restituer la situation à cette époque ?

À la fin de l’Ancien Régime, Melun est une petite ville qui oscille sur la période entre 4000 et 7000 habitants. Implantée en milieu rural, mais dans l’orbite de la capitale, elle est un lieu de passage entre Paris et Lyon grâce à la Seine et aux routes qui la traversent. L’activité économique est centrée sur l’artisanat local (corporations diverses, dont celle des marins pêcheurs liée au trafic de la Seine, ateliers de verrerie, faïencerie ou de toile peinte). Melun est par ailleurs connue dans la région pour ses marchés aux grains, ses moulins et ses fours à chaux, qui fournissent la capitale.

À partir des années 1770-1780 et jusque dans les années 1830, cette activité est complétée, notamment, par deux manufactures, à la fois filatures de coton et entreprise de toiles peintes. Sur le plan institutionnel, Melun est chef-lieu de bailliage et d’élection, présidial et grenier à sel. À partir de 1790, la ville devient préfecture du département de la Seine-et-Marne.

Pourquoi choisir d’étudier l’histoire des femmes, et précisément au cours de cette période ?

La période choisie marque un tournant politique : elle démarre à la fin de l’Ancien Régime, comprend le passage de la Révolution et se prolonge jusqu’à l’avènement du XIXe siècle et de la législation napoléonienne, a priori peu favorable aux femmes.

Les dénombrements démographiques ont révélé la présence d’une très forte proportion de femmes dans la population de nombreuses villes. Ce phénomène est très accentué à Melun : les chiffres oscillent entre 117 et 118 femmes pour 100 hommes, alors que la moyenne nationale est plutôt autour de 110. Or les études faites sur les petites villes ont plus souvent porté sur l’histoire des hommes que des femmes, dont les actions et les paroles sont difficiles à trouver dans les sources.

Poser des questions historiographiques de genre permet ainsi de saisir la nature et les évolutions des rapports qu’entretiennent les femmes et les hommes et de dévoiler la place que ces dernières ont pu occuper dans la société de ce temps.

Quels aspects de la vie des femmes à Melun vous intéressent à cette époque charnière ?

Je m’intéresse à la vie quotidienne des femmes melunaises à travers l’étude de leurs parcours individuels et familiaux. Il s’agit de comprendre qui elles sont, dans toutes leurs différences sociales, de statut (mariées, célibataires, veuves), d’origine géographique et culturelle, d’âge, voire de confession religieuse.

Cela passe notamment par l’étude des rapports qu’elles entretiennent avec leur entourage, enfants, maris, parents et amis, et de la manière dont elles subviennent à leurs besoins. Ainsi peut-on se demander quel est leur rapport au travail, domestique mais aussi extérieur à la famille, qu’elles soient salariées ou gestionnaires de leur propre affaire.

Centrer les recherches sur les activités féminines est susceptible de révéler les marges de liberté réelles des femmes et leurs limites dans la sphère privée comme dans la sphère publique.

Votre travail relève-t-il seulement de l’histoire sociale ?

Non, ce travail s’inscrit également dans un courant de l’histoire urbaine qui essaye de comprendre comment la ville favorise l’intégration sociale de chacun. C’est pourquoi, parallèlement, je m’intéresserai à l’appropriation de l’espace urbain dans lequel les femmes ont évolué : où habitent-elles, avec qui, dans quelles maisons, quelles rues, quels quartiers ? Quels sont leurs trajets, leurs échanges et déplacements au cours de leur vie ? Comment investissent-elles les différents lieux de sociabilité ? Plus largement, il s’agit de découvrir le sens de cette appropriation, stratégique ou pas, des différents lieux de la ville pour mieux comprendre la place des femmes dans la société urbaine d’une époque fortement marquée par le patriarcat.

Où rechercherez-vous les réponses à ces questions ?

Ces recherches sont bien sûr dépendantes des informations fournies par les sources, essentiellement notariales. Elles sont fort riches à Melun, avec six études notariales existantes sur la période. Ce sont des mines d’informations sur la vie privée (contrats de mariages et inventaires après décès, donations et procurations) et les échanges économiques (baux, rentes, ventes, obligations) à une époque où le recours au notaire est bien plus fréquent qu’aujourd’hui dans les différentes strates de la société (nobles, bourgeois, artisans et dans une moindre mesure les milieux plus populaires comme les manouvriers). Les sources judiciaires peuvent aussi être utilisées en complément pour écouter la voix des plus miséreux et celle des femmes qui interviennent parfois en justice, alors même que la loi ne les y autorise généralement pas, en tant qu’accusatrices, témoins ou accusées.