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La Grande Guerre en relief

Parmi les archives illustrant la Première Guerre mondiale, les 75 vues de la collection Henri Bonnot, prises entre 1914 et 1919, interpellent. Tranchées, blessés, ruines... : voici un regard sans concession sur la réalité vécue par les "poilus" au premier plan du conflit.

Des photographes inconnus, des vues inédites

Un support original : des plaques stéréoscopiques

Ces 75 photographies ont été prises à l’aide d’un stéréoscope avec, en guise de pellicule, des plaques de verre recouvertes d’une préparation sensible à la lumière, à base de sels d’argent (on parle de photographie argentique).

Inventé en 1849, cet appareil est doté de deux objectifs parallèles, dont la distance correspond à l'écartement des yeux. Il capte simultanément une même vue sur deux images avec un léger décalage.

Simulant la vision humaine, cette technique permet de donner l’illusion du relief et de la profondeur si l’on regarde les deux images en même temps, à l’aide d’une visionneuse, dont la forme s’apparente à des jumelles.

Dans ces vues, l'effet de relief apporte une vision très réaliste de la Première Guerre mondiale.

Un soldat photographe ?

L'identité de l’auteur / des auteurs de ces photographies est inconnue.

Seules informations en notre possession : quelques mentions notées sur les plaques de verre, les images saisies et l’identité du propriétaire de cette collection. Henri Bonnot (Arcis-sur-Aube 1889-Angers 1981) a vécu la Première Guerre mondiale en première ligne en tant que sous-officier réserviste, rappelé par le décret de mobilisation générale du 3 aout 1914 (156e RI). Grièvement blessé à la tête par balle, le 9 mai 1915, lors d'une attaque sur le village de La Targette (Pas-de-Calais), il fut réformé en tant que "gueule cassée", soigné à l'hôpital de Provins puis décoré de la Médaille militaire (24 avril 1916) et de la Médaille de la Victoire (10 janvier 1935). De retour à la vie civile et devenu bibliophile averti, il est probable qu'il acheta cette collection aux images poignantes en souvenir de ce qu'il avait lui-même vécu.

À l’observation de certaines images, on peut parfois déceler la présence du ou des photographes : son ombre, l’endroit où il se tient... Par ailleurs, les vues montrent les tranchées, les champs de bataille et la vie quotidienne des soldats. Tous ces éléments poussent à croire que les photographes sont ici les soldats eux-mêmes.

Le fait de posséder un appareil stéréoscopique sur le front est étonnant au regard de la fragilité des plaques et de l’appareil et du contexte des combats.

Un regard d'un lieu à l'autre du conflit

La guerre au coeur de l'Europe

Ces vues peuvent difficilement provenir d'un seul et unique photographe au regard de la grande diversité des lieux représentés.

Les photographies illustrent les lieux marqués par le conflit en France (49 photographies), en Belgique (11 ) et même en Allemagne (1).

Les départements, provinces et villes représentés sont ceux principalement touchés par le conflit : la Meuse (19), le Pas-de-Calais (11), l’Aisne (11) et la Somme (12). Si la Seine-et-Marne n'est pas ici représentée, elle a néanmoins été touchée par les combats, notamment en 1914 et en 1918, au cours des batailles de la Marne.

Parmi les 34 communes françaises et étrangères photographiées, les plus emblématiques sont : Verdun (7 vues), où les combats de février à décembre 1916 firent plus de 300 000 morts, les Eparges (4) et Arras (3), lieu d'observation stratégique occupé par les Allemands en 1917.

Des photographies sans concession

Durant la guerre, le gouvernement français contrôle l'image du conflit, notamment dans la presse, afin que le moral des Français et des soldats ne retombe pas.

Ces photographies inédites témoignent quant à elles de la réalité pénible et parfois insoutenable vécue par les soldats.

Le mode de vie des soldats est mis en avant. Si des moments de détente où les soldats fument ou jouent aux cartes sont visibles, les photographies rendent compte aussi de l'inconfort des tranchées, de l'attente des combats, de la gestion des blessés, de la participation des troupes coloniales et surtout de la gravité des blessures et des pertes dans le camp français, comme allemand. Bien souvent, sont offerts au regard des paysages lunaires, sans présence humaine, sans arbre, ni bâtiment et parfois d'étranges moments où les soldats posent fièrement sur des décombres ou sourient malgré la présence des cadavres.

Parmi ces plans illustrant les conséquences de la guerre, on peut voir les nouvelles armes et techniques militaires : avion, tank, crapouillot (mortier permettant de réaliser des tirs indirects) et casque Adrian pour résister aux tirs d'obus (en remplacement du képi de feutrine utilisé depuis 1870).

Quelques moments de l'Armistice et de la fin de la guerre font également partis de cet ensemble : les fêtes célébrant la victoire, notamment à Paris, et le discours de Georges Clémenceau au château de Versailles le 28 juin 1919.

Numériser pour sauvegarder

Archives privées, images publiques

A l'instar de plusieurs fonds d'archives privés, les plaques de verre originales de cette collection ont été prêtées pour reproduction aux Archives départementales de Seine-et-Marne, par la petite-fille du collectionneur, Isabelle Rambaud.

Ces archives peuvent ainsi participer à la mémoire collective.

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